LES ANTILLES-GUYANE AU CENTRE DU TRAFIC DE COCAÏNE
De la coke en stock ! C'est le titre que l'on aurait pu donner à notre article qui traitera de la route du trafic de cocaïne, sur laquelle la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint Martin sont situées. En une décennie, les Antilles-Françaises et la Guyane sont devenues les plaques tournantes du trafic de stupéfiants. Que ce soit en grammes, en kilo ou en tonne, la poudre blanche est régulièrement saisie. Un trafic en augmentation, que les autorités peinent à réguler.

On le sait, la drogue a toujours circulé aux Antilles-Guyane, entre l'herbe que les locaux consomment de façon habituelle, et le crack arrivé à la fin des années 80, qui a fait beaucoup de dégâts et continue d'en faire au sein de la population, la cocaïne semble être la drogue "à la mode" depuis environ une décennie, si bien que les Antilles-Françaises et la Guyane sont devenues les plaques tournantes du trafic international. La cocaïne cette drogue longtemps considérée comme la drogue des riches et du showbizz s'est depuis démocratisée et la demande est croissante.
En effet, dans son article publié le 28 juillet nommé "Drogue, enjeux internationaux" Michel Gandilhon, chargé d'étude à l'observatoire français des drogues et toxicomanies, affirme que les Antilles-Guyane sont une source de plus en plus importante de la cocaïne consommée dans l'hexagone.
Michel Gandilhon reprend l'histoire du trafic dans la zone caraïbe et la place qu'occupent désormais les antilles-françaises et la Guyane dans ce marché juteux : " La mer des Caraïbes a toujours constitué une zone stratégique pour les trafiquants de cocaïne. Dans les années 1970 et 1980, cet espace était en effet un point de passage important pour accéder au marché américain, lequel repré- sentait à l’époque le principal dé- bouché de la cocaïne produite en Colombie. À partir des années 1990, pour perturber les flux, les services répressifs américains mirent en place des systèmes de détection dans la région qui affectèrent significativement le trafic. La cocaïne produite par le cartel de Medellin était envoyée vers la Floride, essentiellement au moyen d’avions de tourisme. En outre, l’accroissement de la coopé- ration militaire entre les États-Unis et ce pays, formalisée par la signature du Plan Colombie en 2000, et les succès subséquents rencontrés dans le démantèlement des organisations criminelles, vont provoquer des dé- placements des trafics. Les routes de la cocaïne vont dès lors emprunter plus intensément l’isthme centre-américain [....] À partir de la seconde moitié des années 1990, la région des Antilles va retrouver un attrait pour les trafiquants en vue de la conquête du marché de l’Europe occidentale. Ainsi, la route dite du « nord », qui part des Caraïbes via l’archipel des Açores pour atteindre, via le vecteur des porte-conteneurs, les grands ports comme Rotterdam [6] et Anvers, est devenue au fil des ans une des trois principales voies empruntées par les exportations de cocaïne en direction de l’Europe occidentale. Ces dernières années, un autre élément, d’ordre politique, est venu renforcer l’importance stratégique des Antilles pour les trafiquants : la crise sécuritaire de l’État vénézuélien... "

St Martin, La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane-Française, jusque là épargner par ce fléau, se retrouvent depuis une décennie au coeur du trafic, car, il faut le dire, plus la demande augmente vers l'Europe, dont la France, plus le trafic prend de l'ampleur, comme le révèle lui-même l'auteur à travers les lignes de l'article : " la Guadeloupe et la Martinique deviennent de manière croissante, à l’instar de la Jamaïque et de la République dominicaine, des États « entrepôts » où la cocaïne est stockée La situation affecte également la Guyane puisqu’une partie des flux se dirigent vers le sud via le Suriname et, dans une moindre mesure, le Guyana, pour atteindre le département français et la métropole. En l’espace de quelques années, les Antilles françaises et la Guyane sont donc devenues des corridors très fréquentés par les trafiquants, une zone de trafic « intense », pour reprendre les termes de l’OCRTIS, comme en témoigne l’importance des saisies réalisées ces dernières années. Selon l’ONUDC (Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime), sur les 250 tonnes de cocaïne destinées au marché européen, 30 % transiteraient aujourd’hui par les Antilles. "
Les Antilles-Françaises(Guadeloupe, Martinique) ont été pendant longtemps des zones de consommation de crack (cocaïne base), mais depuis le milieu des années 2000, les trafiquants, bloqués au nord de la Caraïbe par les services américains, se sont détournés vers les Antilles-Françaises. Selon Michel Gandilhon, les îles françaises jouent même un rôle de plus en plus important dans le trafic à destination de l'Europe et la France, où le nombre de consommateurs est en augmentation : " Aujourd’hui, la Martinique et la Guadeloupe ne sont plus seulement des zones de consommation de cocaïne basée (crack), mais jouent un rôle de plus en plus important dans l’alimentation du marché métropolitain. Les services de police estiment en effet qu’entre 15 % et 20 % des 5 tonnes de cocaïne saisies annuellement en moyenne depuis le début des années 2000 sur le territoire français proviendraient des deux départements français [9]. La cocaïne atteint les Antilles principalement depuis les côtes du Venezuela d’où partent des lanchas (embarcations rapides), des bateaux de pêche ou des voiliers de plaisance (slow-movers), dont les cargaisons sont déchargées soit directement en Guadeloupe ou en Martinique, soit sur des îles proches comme Sainte-Lucie. Depuis trois ans, les services répressifs notent toutefois des évolutions des pratiques avec des transbordements maritimes réalisés en haute mer. À des fins de discrétion, les trafiquants utilisent des bateaux de pêche qui partent des côtes vénézuéliennes à la rencontre d’embarcations légères en provenance des îles antillaises. "

Comme pour ses voisines françaises, le département de Guyane a longtemps été épargné par le trafic. Ce n'est que depuis à peu près quatre ou cinq ans que des saisies de cocaïne se font et elles sont en constantes augmentation. En effet, la position géographique du plus grand département français favorise l'essor d'un trafic et l'implantation d'importants réseaux de stupéfiants. "Département enclavé entre le Suriname et le Brésil, avec lequel il partage plus de 1 200 km de frontières terrestres, la Guyane, située non loin de la Colombie et du Venezuela, et dotée d’une large façade maritime s’ouvrant sur l’Atlantique, est affectée par le développement du trafic de cocaïne dans la région. La topographie du département pré- sente en outre de multiples avantages pour les trafiquants, notamment un réseau fluvial très dense, vecteur traditionnel des échanges commerciaux et humains dans la région, comme c’est le cas avec le Suriname par le fleuve Maroni. En outre, la forêt équatoriale – couvrant près de 90 % de la superficie du territoire – est un lieu idéal pour l’implantation d’aérodromes clandestins. Tous ces facteurs contribuent à compliquer largement le travail des forces de l’ordre. Comme en Martinique et en Guadeloupe, le trafic de cocaïne est apparu au début des années 1980 dans le but de répondre à la demande d’une population plutôt marginalisée la consommant principalement sous sa forme « basée » dite « crack », pour l’essentiel fabriqué au Suriname. C’est seulement à partir du début des années 1990 que le trafic de cocaïne en direction de l’Europe s’est lentement développé pour s’accélérer depuis cinq ans. Cette attractivité pour les trafiquants de cocaïne est attestée par l’augmentation importante et régulière des saisies réalisées à la fois localement et en métropole. Entre 2012 et 2014, les saisies en provenance de la Guyane ont augmenté de 64 %, passant de 86 à 141 kilogrammes..."

En ce qui concerne l'île franco-hollandaise de Saint-Martin, l'île est non seulement un lieu de consommation, de transbordement mais c'est aussi l'endroit où les trafiquants choisissent de placer leur argent et de le blanchir : " L’île de Saint-Martin est située à 235 kilomètres au nord de la Guadeloupe. Son territoire est divisé entre une partie française, située au nord, et une autre néerlandaise. Jusqu’en juillet 2007, Saint-Martin était partie intégrante du département de la Guadeloupe. Depuis cette date, l’île a un statut de « collectivité d’outre-mer », lequel lui permet de bénéficier d’une large autonomie, notamment sur le plan de la fiscalité. Dans les années 1990, du fait d’une situation géographique favorable, l’île est devenue une plaque tournante du trafic régional de la cocaïne destinée à l’Europe et aux États-Unis. Elle était également un centre de réexpédition du crack en direction des Antilles françaises, surtout de la Guadeloupe. Aujourd’hui, l’île est une destination touristique importante, ce qui a suscité un boom économique dans le secteur de l’immobilier, lequel aurait été largement alimenté par l’argent de la drogue. En outre, l’île, comme la Martinique et la Guadeloupe, même si c’est dans une moindre mesure, est touchée par l’intensification du trafic régional de cocaïne et tend à devenir une plate-forme de stockage pour les trafiquants ; elle sert également de point de rencontre pour les négociations de contrats. S’agissant de la partie néerlandaise, également dénommée SaintMartin (Sint-Maarten), qui constitue un des quatre États qui forment le royaume des Pays-Bas, son statut de paradis fiscal en fait un lieu de blanchiment de l’argent de la cocaïne, via un système bancaire pléthorique et une puissante industrie des jeux contrôlés par le crime organisé. Celui-ci est composé notamment de gangs, en contact avec les trafiquants colombiens et vénézuéliens, dont certains sont implantés aux Pays-Bas où ils importent de la cocaïne."

Les méthodes utilisées par les trafiquants :
La majorité des gros "bonnets" à la tête de ces réseaux, sont de nationalité diverses. Ils sont italiens, espagnols, colombiens, vénézuéliens, ressortissants britanniques. Ils viennent de la France Hexagonale, de la République Dominicaine, de l'île de la Dominique, d'Antigua & Barbuda, de St Lucie, du Surinam, du Guyana.Certains sont basés dans leurs pays respectifs tandis que les autres sont des clandestins dans les territoires français. Ils utilisent les îles de Guadeloupe et de Martinique ainsi que la Guyane comme des lieux de transbordements avant de gagner l'Europe de l'Ouest et du Nord. Rares sont les chefs de réseaux à venir des Antilles et de la Guyane. Il faut le dire, les antillo-guyanais ne servent que de passeurs ou de mules, dans le jargon on appelle cela des "pions".
Mis a part le fait qu'ils soient de nationalités étrangères la méthode d'acheminement de la cocaïne reste la même :

1) La livraison dans les porte-conteneurs et autres bateaux de marchandise, qui est la modalité significative du trafic de cocaïne vers la France Métropolitaine.Comme le souligne l'auteur de l'article, pendant longtemps Rotterdam (Pays Bas) était le port le plus concerné par le trafic, désormais, l'ensemble des grands ports français sont touchés par le trafic de drogue, parmi lesquels, le Havre : "premier port français pour le trafic de porte-conteneurs, avec, en 2013, 68 millions de tonnes de marchandises en transit, une porte d’entrée majeure de la cocaïne destinée non seulement à la France, mais aussi à l’Europe occidentale[...] En 2014, la plus grosse saisie de cocaïne jamais réalisée en France, avec 1,4 tonne, y a été effectuée dans ce port.
Pour les trafiquants cette méthode présente plusieurs avantages très importants en termes de quantités transportées et de coûts du fait des économies d’échelle réalisées. Le troisième avantage tient à la difficulté pour les services répressifs de détecter la cocaïne dans les immenses cargaisons de marchandises. Au gré des saisies, les trafiquants ont su s'adapter et les méthodes de dissimulation se perfectionnent. Exemple : la cocaïne est cachée dans des fruits ou légumes, dans du poisson, dans des objets, dans des meubles, dans la structure même des conteneurs (parois, blocs réfrigérants)...
2) Les trafiquants tendent aussi à atomiser les livraisons de cocaïne en utilisant la technique dite du rip-on/rip-off, laquelle consiste à placer, avec la complicité de certains membres du personnel portuaire, des sacs de cocaïne contenant quelques dizaines de kilos.

3) Le recours aux mules est la nouvelle option choisie par les chefs de réseaux. Les mules sont le plus souvent des jeunes femmes, appâtées par la perspective d’une semaine de vacances tous frais payés dans un hôtel de standing et rétribuées de 1 000 à 7 000 euros selon l’origine du départ pour rapporter de « petites » quantités (de 3 à 5 kilogrammes). La majorité d'entre-elles sont de jeunes mères-célibataires sans emploi, ou des jeunes femmes immigrées sans argent. Ce phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. Si l'usage de mule est en augmentation c'est sans doute du au fait que le chômage soit endémique sur ces territoires français.
4) Le troc qui est la tendance du moment. Les trafiquants installés dans la Caraïbe et ceux d'Europe, s'échangent de la résine de cannabis d’origine marocaine contre de la cocaïne en provenance de la Colombie ou du Vénézuela. " à raison de deux kilogrammes de résine contre un kilogramme de cocaïne. Un échange qui s’avère très avantageux pour les trafiquants puisque, compte tenu du prix de gros de la résine de cannabis en métropole, à savoir environ 2 500 euros le kilo, celui de cocaïne leur revient en réalité à 5 000 euros. Le dynamisme de ce trafic a été bien mis en évidence en août 2015 avec la saisie record de plus de 400 kilogrammes de résine réalisée par les douanes dans le port de Fort-deFrance sur un porte-conteneur en provenance du Havre."
Il existe donc une demande croissante de résine de cannabis de la part des consommateurs antillais.

5) L'usage des vols aériens. La plupart des saisies sont réalisées sur des vols commerciaux transportant des passeurs convoyant de la cocaïne. Très souvent, la poudre blanche est saisie dans les colis ou dans les bagages ,sans oublier les mules qui sont très nombreuses. : " Les modes opératoires sont invariables : une personne, souvent d’origine sociale assez modeste, plutôt très jeune, voire mineure, est recrutée. Un billet pour la France métropolitaine est acheté. La cocaïne est transportée in corpore." La Guyane est devenue le territoire de départ de ces vols à destination de la France. Les bandes criminelles de Guyane, se sont affranchies de la tutelle des réseaux du Surinam, et sont aujourd'hui nombreuses. Comme le dit Michel Gandilhon, les filières de Guyane pourraient prendre de l'importance dans les prochaines années car, " Forts de leur capacité à recruter des mules françaises pour partir depuis l’aéroport Felix-Eboué de Cayenne vers Paris, certains groupes criminels, principalement originaires de l’ethnie Bushinenguè, aussi nommée les gens de la forêt, vivant à la frontière surinamienne, sont en pleine expansion [...] Pour ne pas se heurter directement aux autres grossistes de cocaïne en France, ils choisissent de s’implanter dans des villes de petite et moyenne importance plutôt que Paris ou Marseille. La cocaïne est achetée au Suriname où le kilogramme se négocie autour de 5 000 euros en moyenne, selon la police et la douane. Ainsi, avec un taux de pureté qui dépasse 70 %, la cocaïne transitant par la Guyane est équivalente en qualité est deux fois moins chère que celle acquise aux Antilles ou en République dominicaine. Au regard de ce prix, la filière guyanaise pourrait prendre de plus en plus d’ampleur dans les mois et les années à venir. Selon les autorités guyanaises, il pourrait y avoir plus de 10 mules par jour partant de Guyane. "

Face à l'augmentation du trafic, la solution serait plus éducative, sociale et économique que répressive, car, on le sait, les occidentaux sont de grands consommateurs de drogue, tandis que la Caraïbe et les Antilles-Guyane sont des territoires de grande pauvreté, où le chômage, la misère ainsi que les inégalités sociales sont légions. Nombreux sont celles et ceux qui se tournent vers le narcotrafic afin de nourrir leur famille et qui tombent dans le piège des chefs de réseaux qui eux, échappent bien souvent aux services de police.
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