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Colombie : Un guérillero et une femme noire au sommet de l'Etat.

Dernière mise à jour : 20 mars

Pour la première fois de son histoire, la Colombie pays traditionnellement à droite est passée à gauche, avec la victoire de l'ancien guérillero marxiste, Gustavo Pétro et de sa colistière Francia Marquez, une afro-colombienne de 40 ans, militante des droits humains, défenseuse des droits des ouvriers des mines d'or, des droits des afro-colombiens et de la cause environnementale. C'est une grande première pour ce pays latino-américain marqué par les disparités sociales et raciales.





Tout au long de son histoire politique contemporaine, la Colombie a toujours été traditionnellement dirigée par les partis de droite ou des juntes militaires proches de Washington. Aujourd'hui, elle semble vouloir tourner le dos à des années d'injustice sociale et raciale.


A l'image de plusieurs de ses voisins, le pays a longtemps été marqué par des décennies de violence politique dû à la guerre civile qui oppose depuis 1964, l'Etat colombien à des guérillas marxistes, dont les plus connues sont celles des FARC (une partie de ses effectifs ont déposé les armes en 2016, suite aux accords de paix de La Havane) et l'ENL ( Ejecito de Liberacion Nacional, comprenez Armée de Libération National) qui contrairement aux FARC est encore très actif. Quand on parle de la Colombie, on pense évidemment aux Cartels de la drogue et leurs luttes internes pour la domination du marché de la cocaïne, eux aussi opposés à Bogotà. Une guerre contre la drogue qui a connu son pic de violence entre les années 1980 et la fin des années 1990 avec l'élimination de figures majeures du narcotrafic, citons Pablo Escobar, José Gonzalo Rodriguez Gacha pour ne citer qu'eux.


Pourtant, dimanche 19 juin 2022, l'allié indéfectible de Washington dans la région a emprunté la voie du socialisme. Ou du moins de la sociale démocratie. En effet, les colombiens ont viré à bâbord toute, en élisant Gustavo Pétro, ancien guérillero marxiste, économiste de profession. Une grande première dans ce pays d'Amérique du Sud, bien que ses voisins ont déjà été dirigés par des présidents de gauche. En Colombie, pendant près de quatre décennies, les mouvements de gauche ont été marginalisés et même violemment réprimés.


Comme le note le site The conversation : Plusieurs éléments avaient contribué à la marginalisation et à la diabolisation de la gauche dans le pays. D’une part, le conflit armé qui se prolonge depuis bientôt soixante ans, et dont le nombre de victimes civiles, de disparus et de déplacés ne cesse d’augmenter, avait contribué à associer la gauche aux mouvements insurgés, au premier rang desquels les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Malgré les nombreuses exactions commises par l’armée officielle, la rhétorique officielle a toujours fait peser sur les guérillas marxistes la responsabilité entière du conflit. Après la courte victoire du non au référendum sur les accords de paix en octobre 2016, de nouveaux accords remaniés ont été ratifiés fin 2016 par le Congrès. La situation n’est toutefois pas totalement stabilisée : l’ancienne guérilla des FARC, mais aussi des observateurs internationaux dénoncent régulièrement les manquements aux accords de la part du gouvernement, tandis qu’un certain nombre de groupes armés continuent à opérer dans la clandestinité.


La marginalisation des mouvements de gauche repose sur notamment sur la guerre froide et le spectre cubain qui fit vacillé, le puissant voisin nord-américain en 1959. Aussi, cette marginalisation a aussi pour ombre au tableau, la guerre contre les cartels de la drogue qui perdure depuis la fin des années 1970. Toujours le site The Conversation, " Les États-Unis ont longtemps accordé une attention particulière à la Colombie. Dans le cadre de la guerre froide, Washington a massivement soutenu Bogota dans sa répression des groupes insurrectionnels et plus tard dans la « Guerre contre la Drogue ». En retour, la Colombie s’est positionnée comme un allié solide des États-Unis à l’international (notamment dans ses votes à l’ONU et en devenant partenaire de l’OTAN) et dans la région, en particulier en ce qui concerne l’isolement du Venezuela."


Autre facteur, le trublion Venezuela passé à gauche dès 1999 avec l'accession au pouvoir d'Hugo Chavèz ( 1999-2013) puis de son successeur Nicolas Maduro au pouvoir depuis 2013. " Pour la Colombie, qui partage avec le voisin bolivarien une frontière de plus de 2 000 km de long, traversée par d’innombrables trafics mais surtout par des flux migratoires sans précédent (la Colombie accueille deux des cinq millions de Vénézuéliens éxilés), cette relation s’est traduite par des crises diplomatiques successives, jusqu’à la rupture des relations diplomatiques et la fermeture de la frontière en 2019."


Gustavo Pétro de la guérilla à la présidence :



Foto Diana Rubiano/ El Nuevo Siglo

Loin d'être novice en la matière, l'homme, économiste de profession est un politicien aguerri. Dès ses études, ils se prend de passion pour la chose politique et entre dans le militantisme actif en intégrant la guérilla marxiste du M19 qui a été active entre 1970 et 1990. Un passé de guérilléro qui ne l'a pas empêché de faire carrière en politique puisqu'il a été député en entrant à la Chambre des représentants à deux reprises, soit de 1991 à 1994 et de 1998 à 2006. Un mandat effectué au plus fort de la période de la violence politique durant laquelle, il a même été menacé de mort à plusieurs reprises par les milices paramilitaires d'extrême droite et contraint à l'exil pendant quatre ans car il n'avait de cesse de dénoncer les relations incestueuses entre le pouvoir politique et les milices paramilitaires accusées de massacrer dans les campagnes reculées les paysans soupçonnés d'aider les guérillas marxistes ou les cartels de la drogue. Au cours de ce mandat, il aurait contribué à faire médiatiser le scandale des faux positifs : (exécutions de milliers de civils par l’armée afin de les présenter en guérilleros tués au combat).


A partir de 2006, Gustavo Pétro devient Sénateur sous la bannière du parti de gauche Pôle démocratique alternatif qu'il quitte en 2011 afin de fonder son propre mouvement politique : le Mouvement progressiste avec lequel il délaisse la branche radicale de la gauche pour embrasser la sociale démocratie. Par deux fois, l'homme de gauche s'est présenté aux élections présidentielles et à chaque fois, il a perdu. La première fois, c'était en 2010 où il échoue dès le 1er tour avec un peu plus de 9% des voix. Huit ans plus tard, il réitère l'expérience, avec un programme axé notamment sur la gratuité de l’enseignement, le respect des accords de paix avec les FARC et un système économique plus respectueux de l’environnement, la lutte contre la pauvreté et une meilleure justice sociale notamment pour les afro-colombiens couche sociale la plus basse de la société colombienne. Un discours qui engendre l'hostilité des élites qui voit en lui un populiste, un nouveau Hugo Chavèz. Conséquence, le représentant de la gauche colombienne est menacé de mort et certains de ces opposants finissent par passer à l'action, comme le 2 mars 2018 où son véhicule est criblé de balles. Malgré les menaces, il se présente et recueille 41,8 %, soit douze points derrière le candidat de droite Yvan Duque.


Entre ses deux participations aux élections présidentielles, en 2011, Gustavo Pétro est élu maire de la ville de Bogotà où il obtient 32,16% des suffrages. Sa prise de fonction est effective le 1er janvier 2012 fait de lui le premier ex-guérilléro à siéger dans une municipalité et à diriger la capitale colombienne. Il axe sa politique sur la reconnaissance des droits des minorités sexuelles, l'assainissement des rues de la ville organisé par des entreprises privées auxquelles il s'oppose fermement. Ses décisions engendrent là encore l'hostilité des partis de droite siégeant à la mairie avec notamment un parlementaire de la majorité gouvernementale de droite qui organise un référendum pour révoquer Petro de sa fonction de maire. Coup de théâtre, le 9 décembre 2013, il est destitué de son poste de maire par le procureur général Alejandro Ordoñez, proche du gouvernement et déjà responsable de la destitution de plus de 800 maires, pour cause de « violation des principes constitutionnels de la concurrence ». Malgré son appel, la destitution de Gustavo Pétro est actée. Une affaire qui ira jusqu'à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Au final, le Tribunal supérieur de Bogota ordonne au président Santos de rétablir Petro dans ses fonctions le 23 avril suivant.


A l'approche des élections présidentielles, le maire de Bogotà est pré-candidat du rassemblement des trois principaux partis politiques de gauche, Colombia Humana, de l'Union patriotique et du Parti communiste colombien qui se rassemblent dans une coalition au nom évocateur " Pacto Historico " Il remporte cette consultation avec 80,5 % des suffrages et choisit Francia Márquez, militante afro-colombienne des droits humains et de l'environnement, comme colistière pour l'élection présidentielle. Fidèle à ses idées de gauche, il centre sa campagne sur la réforme agraire destinée à rendre sa productivité à 15 millions d’hectares de terres pour mettre fin au «narco-latifundisme», l’arrêt de toute nouvelle exploration pétrolière dans le but de sevrer le pays de sa dépendance aux industries extractives et des combustibles fossiles, des investissements dans l’éducation publique et la recherche, des infrastructures pour l’accès à l’eau ainsi que le développement du réseau ferroviaire, une réforme fiscale et une réforme du système de santé, lequel est largement privatisé, la gratuité du système scolaire pour permettre aux couches sociales les plus pauvres d'accéder à l'éducation. La lutte contre les inégalités sociales à commencer par l'augmentation des impôts pour les colombiens les plus riches. Ainsi que la lutte contre la faim qui a augmenté durant les deux années de pandémie de la Covid-19. Les autres ponts essentiels du programme de la gauche unifiée porte sur le respect des droits de la communautés LGBTQ+, mais aussi le respect des droits des femmes dans un pays ultra catholique et niveau diplomatique, il a prôné l'apaisement des relations diplomatiques avec le voisin Vénézuélien. Autant de propositions qui ont, comme on l'imagine provoqué l'ire des conservateurs de la droite traditionnelle qui l'ont encore comparé à un populiste de la trempe d'Hugo Chavez et de son dauphin Nicolas Maduro.


Ce programme avait tout pour plaire. 52% de la population vit avec moins de 3€/ jour tandis que 1% des propriétaires terriens détiennent plus de 80% des terres cultivables. Une pauvreté qui a augmenté avec la pandémie. Selon le site d'information colombien, La Republica, près de 21 millions de personnes vivraient donc sous le seuil de pauvreté et 7,4 millions d'entre elles seraient en situation d'extrême pauvreté. Alors qu'en 2019, on estimait à 37,5% le taux de pauvreté monétaire et 9,6% de la population en situation d'extrême pauvreté.


Une pauvreté qui touche principalement les zones rurales et les faubourgs des grandes villes colombiennes. De plus, mandat d’Iván Duque, président sortant élu en 2018, avait également été émaillé de manifestations massives, liées au mécontentement de la population quant aux politiques économiques, sociales et environnementales et au manque de volonté politique d’appliquer les accords de paix. Ces manifestations avaient été brutalement réprimées, l’ONU parlant d’au moins 28 morts pour le seul mois de décembre 2021.


L'autre point du programme de la gauche unifiée, qui a plu à la population, le respect des accords de paix d'Oslo et de La Havane signé entre l'état colombien et la guérilla des FARC et quasi jamais respecté par la mandature précédente qui était fermement opposée à ces accords et refuse d'ouvrir des pourparlers de paix avec l'autre grande guérilla l'ENL. Lassés par près de soixante ans de conflit armé, les colombiens ont fait le choix du changement et donc, de la paix.

Une volonté exprimé par le choix de la candidature de Gustavo Pétro, ancien guérilléro qui a depuis abandonné le recours à la violence comme moyen politique pour embrasser le jeu électoral.


Gustavo Pétro est un homme politique de son continent. A l'image des autres personnalités politiques de gauche sud-américaines, avant de s'engager dans la voie démocratique, durant sa jeunesse, il a eu un passé de guérilléro. En effet, dans de nombreux pays latino-américains, des dirigeants et militants de mouvements de gauche ont participé à des expériences de lutte armée. Mais leur abandon de la guérilla et leur incorporation dans des partis a été généralement le fait de décisions individuelles, liées d’abord à la répression par les forces armées, et ensuite aux amnisties concédées aux opposants pendant les transitions démocratiques. Une transition vers le jeu démocratique propre aux pays du sud du continent.


De ce fait, en se détournant de la voie des armes pour se lancer dans le combat politique électoral, Petro a rejoint un certain nombre d’autres personnalités majeures du continent, socialisés politiquement à une époque où la gauche n’existait que dans la clandestinité et qui, avec les transitions démocratiques, ont elles-mêmes opéré une transition vers la politique électorale et institutionnelle. Nous pouvons citer entre autre Pepe Mujica en Uruguay (2010-2015), Dilma Rousseff au Brésil (2011-2016), ou encore Salvador Sánchez Cerén au Salvador (2014-2019) etc.


Une semaine après sa victoire historique, Gustavo pétro devra s'atteler à un chantier immense qu'est la Colombie, pays fragmenté entre riches et pauvres, blancs, noirs, métis et peuples autochtones. Les défis sont donc nombreux. Dans un premier temps, il va devoir rassurer les conservateurs, hommes d'affaires, grands propriétaires et militaires qui voient le nouveau président colombien comme un " communiste" épouvantail du voisin " Bolivarien". Etape importante s'il veut réaliser son programme axé sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités requièrent la mise en place de programmes sociaux ambitieux, et donc d’une importante réforme fiscale, mais également, la poursuite du processus de paix et l'amélioration de la protection des droits humains, la lutte contre le trafic de drogue international, le respect de l'environnement qui risque lancer les hostilités avec l'industrie agroalimentaire, les compagnies minières chargée de l'extraction de l'or, argent et autres métaux.

Gustavo Petro devra composer avec une dette qui a fortement augmenté depuis la pandémie, un peso largement dévalué et la nécessité d’une réforme fiscale toujours délicate. En plus de ces difficultés économiques et budgétaires, Petro devra tenter d’appliquer son programme alors qu'il ne dispose pas de majorité claire au Congrès.


Francia Marquez : Fuente: Instagram @franciamarquezm

Pour sa troisième participation à une élection présidentielle, l'homme de gauche s'est entouré d'une figure majeure de la communauté afro-colombienne qui représente près de 10% de la population colombienne soit 1/5e des habitants du pays. Ce qui fait de la Colombie, le deuxième pays latino avec le plus de noirs, juste derrière le grand voisin brésilien.

Ces descendants d'africains déportés et mis en esclavage entre 1510 et 1851 pour servir de mains d'œuvre dans les grandes haciendas où poussait le café, le cacao, la canne à sucre. Ils étaient aussi utilisés dans les mines d'or et d'argent du pays où ils travaillaient dans des conditions inhumaines.


Malgré la fin de l'esclavage en 1851, la question de la présence des afro-colombiens est comme dans le reste du continent, sujet à débat. Officiellement, la Colombie est un pays métissé où cohabitent, les descendants des anciens planteurs, les peuples autochtones, les descendants des esclaves africains et les autres populations issues des migrations européennes, libano-syriennes et asiatiques du début du XXe siècle. Le racisme y est encore une fois " officiellement" interdit et, la Constitution colombienne de 1991 par le biais de la Loi 70 de 1991 et 1993, a reconnu les droits culturels des minorités ethniques du pays ainsi que le droit de posséder et à vivre collectivement sur leurs territoires ancestraux. ( Loi 70 de 1993 pour les personnes d'ascendance africaine et la loi 60 pour les peuples autochtones.

Pourtant, on constate une quasi absence des afro-colombiens dans le paysage médiatique, audiovisuel. Quand ils apparaissent dans un film, c'est bien souvent pour jouer le rôle du domestique ou de l'esclave lorsqu'il s'agit des films d'époque.


Deuxième plus grande communauté de la Colombie, ils ont été pendant très longtemps écartés des enjeux sociétaux et politiques. Disons le clairement, les afro-colombiens souffrent de racisme et de discriminations raciales. Considérés comme des citoyens de seconde zone, leur existence est très difficile. Beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté et ils sont les premières victimes de la discrimination à l'embauche. Un afro-colombien diplômé a moins de chance de trouver un emploi décent à la hauteur de ses diplômes que son compatriote d'ascendance européenne. Selon le mouvement Cimarron, 61% des afro-colombiens vivent dans une grande pauvreté. 79% d'entre eux touchent un salaire inférieur au minimum légal. 7% perçoivent un salaire inférieur à 40$. L'espérance de vie des afro-colombien est bien plus courte que le reste de la population, ainsi, elle est d'environ 60 ans pour les colombiens africains alors que la moyenne nationale est de 73,7 ans. En ce qui concerne le taux d'analphabétisme, là encore, les afro-colombiens sont plus touchés que leurs compatriotes d'origine européenne : Noirs 43% en zone rurale, 23,2% en zone urbaine / Les blancs 20% en zone rurale et 7,3% en zone urbaine.

Selon une étude de l'Université de Rosario de Bogota, la population afro-colombienne est estimée à 10,5 millions d'individus, soit près de 26% des Colombiens, principalement installés dans les zones pacifiques et andines du pays. L'étude révèle que le taux d'analphabétisation est de 43% dans la population rurale de cette communauté et 20% en zone urbaine. L'éducation reste l'obstacle majeur. Ainsi, « pour 100 jeunes Afro-Colombiens qui terminent le secondaire, seulement deux entrent à l'université » 80% d'entre eux ne peuvent pas payer leurs études universitaires. La situation des afro-colombiens a été aggravée par la crise sanitaire qui a impacté dans l'économie nationale. Conséquence, elle a fait augmenter le taux de pauvreté.


Pourtant, nul ne peut nier l'apport important des afro-colombiens dans la culture colombienne : la cumbia, le vallenato, le currulao et la champeta sont des styles musicaux directement issus de la culture afro-colombienne. En sport également, les afro-colombiens jouent un rôle important. Par le passé, la Colombie a même eu un président noir Juan José Nieto Gil, qui était bien noir, contrairement à ce que laissent supposer certains portraits de lui. Depuis, plus aucun noir n'a accédé au poste suprême, de président de la Colombie.



Francia Marquez, vice-présidente de Gustavo Petro, à Suarez, en Colombie, le 19 juin 2022.

Néanmoins, c'est bien une femme afro-colombienne qui a fait campagne aux côtés de Gustavo Pétro et qui a été élue Vice-présidente, le dimanche 19 juin 2022. Son nom : Francia Marquez. Avec la victoire de la gauche unifiée, elle est devenue la première femme et toute première femme noire a être à ce poste. Comme sa tête de liste, Francia Marquez est loin d'être une novice en politique. Loin d'avoir évolué toute sa vie dans les arcanes du pouvoir. Au contraire, la jeune femme politique a fait ses armes dans l'activisme politique.


Âgée de 40 ans, Francia Elena Marquez est une afro colombienne qui milite depuis plusieurs années pour les droits humains et environnementaux dans son pays.

En 2018, elle a même reçu le prix Goldman ( équivalent du Prix Nobel de la Paix pour l'environnement) pour l’environnement grâce à son combat acharné contre l’extraction illégale de l’or dans sa communauté de la Toma. Elle est notamment connue pour l'organisation de la « marche des Turbans », rassemblement de 80 femmes qui ont parcouru 500 kilomètres jusqu'à la capitale Bogotá. Elles revendiquaient la fin de l'exploitation illégale des mineurs et des mines dans leur communauté.


Le parcours de Francia Elena Marquez est une source d'inspiration pour de nombreux afro-colombiens et pour cause, rien ne prédisposait la nouvelle présidente à un tel parcours avant tout personnel. La jeune femme politique a l'âme d'une guerrière comme ses ancêtres déportés comme esclaves en Colombie en 1636. Originaires du Congo, du Nigeria ou encore du Mali et réduits en esclavage, ils sont à l'origine d'une communauté afro-colombienne baptisée La Toma. Yolombo, la localité où est née Francia Marquez, se situe au nord de la municipalité de Suarez, dans le département du Cauca (région de la côte Pacifique, à l'ouest du pays une région marquée par la guerre civile et en proie au trafic de drogue et à l’accaparement des ressources.


Cette situation de tension va forger le caractère de Francia Marquez qui participe depuis ses treize ans à des luttes pour les droits des populations marginalisées. Elle se bat ainsi contre les multinationales qui exploitent les alentours de la rivière Ovejas, expulsant parfois des lieux les populations locales. Mère célibataire à l'âge de 16 ans, elle doit interrompre ses études et travailler comme employée de maison. Entre 1994 et 1997, elle participe au processus d'évaluation des impacts que générerait à sa communauté et sur le territoire le gigantesque projet de déviation du fleuve Ovejas vers le barrage Salvajina.

En 2009, elle s'engage au Conseil communautaire de La Toma, à Suárez, pour lutter contre l'exploitation des mines alentour sans l'autorisation des habitants. C'est à partir de ce moment qu'elle commence à étudier le droit pour acquérir les compétences juridiques mises à profit dans ce conflit qui oppose sa communauté aux grands groupes miniers aidés par les paramilitaires proches du gouvernement. Entre 2010 et 2013, elle a ainsi présidé l'association des femmes de Yolombo (Asociación de Mujeres Afrodescendientes de Yolombó). C'est avec cette organisation qu'elle a porté les revendications les plus récentes de la communauté de La Toma.


Son militantisme ne fait pas que des émules et bien au contraire, elle se créée des ennemis bien visibles qui ne manqueront pas de la menacer de mort. Ce qui la poussera à quitter sa région natale pour la ville de Cali avec ses deux enfants. Ce qui ne l'empêchera pas en 2016, d'être nommée représentante légale du Conseil communautaire des communautés afro-descendantes de La Toma à partir du 12 décembre 2016. Elle participe également aux assemblées permanentes déclarées par la communauté afro-descendante du Cauca, laquelle a exigé de l'INCODER (Instituto Colombiano de Desarrollo Rural, actuellement l'Agence nationale du territoire en Colombie) qu'elle protège les territoires ancestraux des communautés noires et de garantir des accès à la terre. Toujours rectiligne dans ses positions politiques, lors du forum interethnique et interculturel du Cauca, elle réitère sa demande au gouvernement d'arrêter les extractions minières illégales et d'octroyer des titres miniers sans consultation préalable sur des territoires ethniques. L'idée était de réaliser des actions qui permettraient d'identifier de possibles actes de corruption institutionnelle face aux extractions minières illégales qui contaminent le territoire et également de prendre en considération les nombreux accidents de personnes restées coincées sous la terre, dans les tunnels des mines.


Porte-parole de sa communauté durant les négociations de paix entre Bogotà et les représentants des FARC, elle participe à la rédaction de l’accord de paix, notamment sur le chapitre ethnique inclus dans les centaines de pages de l’accord et fait partie de la délégation qui part en Suisse pour dialoguer à propos des défis du processus des négociations de la paix en Colombie et des droits des peuples locaux afro-colombiens et indigènes. Des actions et des prises de risque qui lui vaudront une récompense puisqu'en 2015, elle reçoit le Prix National de défense des Droits de l’Homme de la part de l'organisation suédoise Diakonia.


Figure des sans voix de la Colombie, elle est régulièrement conviée à des forums internationaux à travers le monde, pour parler préservation de l'environnement, respect des Droits Humains et des conditions de travail. Un combat qui lui vaudra en 2018, le prix Goldman, mais aussi des menaces de mort constantes. En 2019, avec deux autres activistes, elle est victime d'un attentat manqué perpétré à l'arme à feu et à la grenade, dans le département du Cauca. Deux gardes du corps ont été blessés. Les différentes attaques qu'elle a subi, rappellent que la Colombie, pays officiellement démocratique, est l'un des pays les plus dangereux au Monde pour les défenseurs des droits humains et environnementaux avec près de 1300 assassinats d'activistes depuis 2018. Certains de ces tueurs à gage, d'anciens guérilléros ou membres des factions paramilitaires seraient mandatés par les grandes compagnies minières pour commettre ces assassinats.


En 2021, l'activiste avait adressé un courrier à Kamala Harris, la vice-présidente des Etats-Unis, une autre pionnière sur le continent américain. Elle y dénonçait les atteintes multiples aux droits de l'Homme dont sont victimes les Afro-Colombiens et les peuples autochtones en Colombie.

Au début de la campagne interne des partis de gauche rassemblés dans le Pacte Historique, elle se porte candidate à la vice-présidence, aux côtés de Gustavo Pétro en vue des élections présidentielles. Dans un pays historiquement gouverné par les conservateurs, elle contribue à imposer dans la campagne électorale des thèmes jusqu'ici absents du débat, comme le racisme et les inégalités sociales. Au premier tour de l'élection, la gauche remporte 40% des suffrages exprimés et 50,44% des voix face au candidat conservateur, le millionnaire populiste Rodolfo Hernandez, 77 ans, qui a obtenu 47,30%. La participation de plus de 58 % est, elle aussi, historique. Signe que les colombiens voulaient le changement.



Interviewée par Jeune-Afrique en 2018, quelques jours après avoir reçu le Prix Goldman, elle se présentait de la sorte :

" Je suis née et j’ai grandi dans un territoire afro-colombien ancestral, mes ancêtres esclaves ont fui les conquistadors et s’y sont installés en 1636. Nous vivons de l’artisanat, de l’exploitation des mines d’or artisanales, de l’agriculture et de la pêche. Puis en 2002, des groupes paramilitaires se sont installés sur notre territoire, ils ont commencé à instaurer la terreur, à bafouer les droits de l’Homme. Ensuite des multinationales sont arrivées pour exploiter les mines d’or à grande échelle comme AngloGold Ashanti. En 2009, le gouvernement a donné les autorisations d’exploitation sans même nous consulter et nous a demandé de partir ! Je ne pouvais pas rester indifférente à ce qu’il se passait… J’ai donc commencé à étudier le droit pour nous défendre.

Avec l’aide d’avocats afro-colombiens, j’ai appris à mener une action de tutelle, et la Cour constitutionnelle a reconnu nos droits et a ordonné la suspension de toutes les autorisations d’exploitation minière. Dès lors, j’ai commencé à recevoir des menaces de mort, contre moi mais aussi contre mes enfants… Et l’exploitation illégale a continué, avec la complicité de l’État qui voit les choses se passer sous ses yeux mais ne fait rien [...] Suite à mes engagements, en 2013 j’ai reçu des menaces de mort et j’ai dû quitter ma communauté et mon village pour me réfugier à Cali avec mes enfants. Je vis dans la peur constamment, je me retourne toujours dans la rue pour voir si on me suit, je suis méfiante envers tout le monde. J’ai dû tout quitter du jour au lendemain, ma famille, mes amis, mon logement, mes deux fils m’en ont beaucoup voulu. Je me suis retrouvée seule dans une ville que je ne connaissais pas. J’ai reçu cinq menaces de mort… Malgré mon combat, je me sens seule. Les gens viennent me voir pour me parler de mes actions, pour me remercier. Mais en vrai, je n’ai pas d’amis et ma famille me voit aujourd’hui comme un leader. Ce n’est pas facile à vivre tous les jours mais c’est mon destin et je l’assume".



Dans un pays marqué par une faible représentativité des “afros” en politique, Francia apparaît comme un symbole fort du “tout est possible”.


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